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La valse aux adieux
30 mai 2012

(écrit pendant ces quelques mois sans internet)

(écrit pendant ces quelques mois sans internet)

 

Dans la neige, dans la merde et dans le sang.
Quand je suis née c’était la nuit et c’était l’hiver et dehors il neigeait. Quelques flocons seulement, salis avant même de s’écraser sur le sol crasseux et dégueulasse et puant du quartier.
Y’avait rien que ma mère qui gueulait « j’en veux pas, j’en veux pas » et « salop, connard, fils de pute » et la voisine qui gueulait « calmez-vous », et puis moi, et moi je gueulais tout pareil qu’elles.
Ma mère elle avait les jambes écartées sur le canapé, avec les yeux qui pleuraient, le visage rouge et bouffi, sa chemise de nuit trouées par les mites, celle qui sent un peu la pisse et la clope froide des nuits d’insomnies.
Et elle gueulait ma mère, elle hurlait, salop, connard, j’en veux pas, donnez-moi ce putain de couteau qu’on en finisse, donnez-le moi, j’en veux pas du bébé, j’en veux pas… Elle voulait pas que je sorte de son corps ma mère, elle voulait pas pousser, elle voulait pas me voir, elle me retenait de toutes ses forces...
Elle voulait pas me voir mais je suis sortie quand même, petite chose rouge et collante, et elle elle pleurait et je pleurais et la voisine elle m’a prise dans ses bras, elle a dit à ma mère « c’est une fille », comme les dames à la maternité, sauf qu’à la maternité les mères elles sont heureuses et elles veulent qu’on leur passe leur bébé, alors que moi ma mère elle voulait pas me voir, elle voulait pas savoir, elle pleurait de rage en bafouillant des choses incompréhensibles, le couteau, passez-moi le couteau qu’elle disait…
La voisine elle a coupé le cordon, et elle m’a lavé dans l’évier, pour enlever le sang et la merde, et elle est partie en promettant de repasser vite.
Dehors il neigeait encore un peu… C’est comme ça que je suis née, dans  la neige, dans la merde et dans le sang.
Elle est pas repassée très souvent la voisine, ma mère lui faisait un peu peur je crois… et moi je suis restée toute seule avec les cris de ma mère, ses larmes, ses reproches et les cheveux qu’elle s’arrachait…
Mais on s’habitue parce qu’on peut s’habituer à presque tout…
 Je me suis habituée aux nuits noires sans dormir dans mon lit qui puait la pisse parce qu’elle voulait pas changer les draps et que j’étais qu’une sale pisseuse et une sale conne et une morveuse.
Je me suis habituée à regarder la télé très fort quand ils venaient, ceux qui la payait et la traitait  de salope et qui lui disait « t’aime  ça hein ». C’est vrai qu’elle m’aimait pas ma mère, mais elle s’aimait encore moins, et quand ils repartaient elle avait les yeux encore plus vides qu’avant et les cheveux encore plus tristes.
Je me suis habituée à l’assistante sociale qui venait de temps en temps, aux mensonges, à ma maîtresse et qui me demandait si ça allait et comment allait ma mère et d’où ils venaient mes bleus et je me suis habituée à mentir encore un peu plus, et quand j’ai mis mes premiers soutien-gorge à douze ans je me suis habituée à mon beau-père qui me disait « tu deviens une belle salope, comme ta mère » en rigolant un peu trop fort, mon beau-père ça l’excitait que ma mère soit une pute, et  je me suis habituée à ce qu’il rentre dans la salle de bain quand je prenais ma douche et dans ma chambre quand j’étais toute seule et à ses mains dégueulasses et poilues, et à sa bite dure et excitée et à ses bruits de singes et j’avais peur c’est vrai et je détestais ça et je me lavais pendant des heures après et parfois je pouvais pas m’en empêcher mais je vomissais…Mais je me suis habituée…
Et quand l’assistante elle m’a mise dans un foyer, je me suis encore habituée parce que je pouvais rien faire d’autre que m’habituer, et quand ma mère elle oubliait de venir me voir j’ai jamais rien dit parce que y avait rien à dire, rien à dire du silence et de l’absence, qu’est-ce que j’aurais bien pu dire ? Un jour ils ont dit c’est bon, tu peux retourner avec ta mère, alors j’ai fait ma valise et je suis repartie, ils m’ont amenés jusque chez elle,  elle avait déménagé dans un appartement encore plus miteux, avec des scorpions dans la salle de bain et un plafond qui tombait en morceau et pas de chauffage et l’eau qui coulait pas très claire… et mon beau-père, toujours là à me déshabiller avec ses mains toujours aussi poilues…
Les nuits sans dormir elles sont revenues, je regardais les petits bouts de plafond qui tombaient en priant de toutes mes forces pour qu’il n’entre pas dans la chambre, qu’il me laisse tranquille…
Ma mère elle disait rien, je sais pas si elle savait, je pense que oui. Mais elle disait rien.
Alors à dix-huit ans je suis partie parce que je ne voulais plus qu’il me touche et je voulais plus de ma mère, mais j’avais rien, même pas un petit diplôme à montrer, rien du tout, ma mère m’a laissé partir avec son rire méchant, tu finiras pute toi aussi qu’elle a dit, et mon beau-père ça l’a fait rire.

J’avais deux mois de retard dans mes règles alors j’ai pissé sur le test quand j’étais seule dans l’appartement, et y a un petit plus qui est apparu.
Ca veut dire que je suis enceinte, c’est ça que y’a marqué sur la notice, ça veut dire que y a un truc qui vit là-dedans, dans mon ventre.
Y a aussi marqué que c’est encore temps de le tuer ce bébé, c’est même pas un bébé encore, c’est un embryon, c’est encore temps de refuser qu’il vive, d’avorter…
C’est ce qu’il faudrait que je fasse, parce qu’il en voudra pas du bébé, il fera comme mon père, il partira, il me laissera toute seule avec le bébé et la colère et la rage et ça, et ça je veux pas…
Je veux pas que mon bébé il naisse dans la merde et dans le sang…
Alors j’appelle Théo et je lui dis que je suis enceinte mais que je vais avorter et je lui demande de m’accompagner parce que ça fait peur tout ça, les médecins qui te fouille de l’intérieur, qui t’enlève ce petit bout de toi… Et lui il s’énerve et il me dit que c’est pas lui qui est tombée enceinte mais moi et que j’ai qu’à prendre mes responsabilités et que je suis conne…

Dehors il neige. Je prends le grand couteau de cuisine.

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Commentaires
L
C'est beau, c'est dur, tu écris bien ! Continue !
Répondre
K
contente de te voir de retour, et toujours cette force dans tes mots ;-)
Répondre
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